AU Bénin, Mecque du «vaudou », les croyances sont vivantes, présentes au quotidien.

« Mahinou a perdu sa soeur jumelle en voyant le jour, mais n’en fut jamais séparée. Elle vivra tant que vivra Mahinou, à ses côtés, sous la forme d’une petite poupée de bois sculpté aux toilettes soignées et chaque jour renouvelées. La réalité virtuelle n’évoque rien de nouveau, dans cette contrée, ni aucune perspective bouleversante. Cela s’appelle un pléonasme. »

TITUAN LAMAZOU

« Carnets de voyage » Gallimard.

C’est le jour de son accouchement que Pami comprit ce que pouvait être la douleur d’une mère qui risque de perdre un des deux enfants qu’elle a attendus pendant plus de huit mois.

Ce jour là aussi, il semble qu’elle prit conscience de ce qui lui avait réellement manqué pendant près de 25 ans. Ce fut d’abord une vague impression, puis un doute qui ne devait plus la quitter.

Elle se mit alors à repenser aux tendres attentions, mille fois répétées, aux gestes doux, aux caresses multiples ; elle revit le regard de Moune, à la fois émerveillé et rêveur. Elle se souvint de certaines paroles ambiguës ou à double sens.... et ce fut comme une révélation :

Moune adorait Pami, parce qu’elle était à la fois son enfant vivant, présent et chaud, et le seul être qui lui permettait d’imaginer l’enfant mort, alors qu’il avait partagé pendant 9 mois, dans le creux de son ventre, la vie encore fragile de sa soeur.

Que de secrets partagés pendant ces longues semaines, combien de projets échangés, quels désirs engrangés, quelles farces préparées en vue de la vie extérieure ? Combien de caresses et combien de rires ? Quelles douces bagarres aussi lorsque le ventre se gonflait à droite, puis à gauche, devenait plat une seconde, puis plus rond qu’un ballon de basket, pour finir par se calmer, reprendre sa forme initiale : douce courbe pleine et gonflée.

Pami comprit qu’elle n’avait eu que quelques mois pour partager avec son plus que frère ou soeur tout ce qu’une vie permet de réaliser lorsqu’elle est la suite normale des événements de l’enfance, de l’adolescence, puis de l’âge adulte.

Elle repensa aux gestes si attentionnés de sa mère sur son corps de bébé ; la douceur des doigts, la chaleur des baisers, mais se souvint que les mains caressaient toujours si longtemps sa peau et que la bouche posait sur son cou mille baisers mouillés de soupirs étouffés.

Elle repensa aux départs pour l’école, lorsque sur le pas de la porte, elle enfonçait le bonnet, fermait le blouson et resserrait l’écharpe, en lui prodiguant mille recommandations : « ma chérie, tu traversera aux passages cloutés ! Prends toujours le même chemin ! Rentre à l’heure, tu es seule, et je n’aime pas te savoir seule dehors, surtout quand il fait nuit ! »

Bien sûr, toutes les mamans du monde doivent tenir ce genre de propos à leurs enfants entre 7 et 13 ans ; mais avec le recul, Pami se souvenait maintenant que le mot qui revenait le plus souvent était « seule », et elle réalisa que Moune s’était toujours adressée à sa fille en pensant qu’elle avait un double, qui aurait du être là pour l’aider, la surveiller... la compléter.

Pami se demanda si sa mère avait pu, un jour, penser que sa fille était incomplète !

Non ! certainement pas... Moune était trop réaliste, trop concrète ; elle voyait sa fille comme un être bien fini, accompli, indépendant ; mais elle savait qu’il lui avait manqué un pion pour jouer avec succès et jusqu’au bout une belle partie sur l’échiquier de sa vie.

Aujourd’hui pourtant Pami ressentait, elle aussi, comme un manque.

Et paradoxalement, c’est le jour de la naissance de ses jumeaux qu’elle réalisait qu’elle avait jusque là vécu avec un étrange sentiment d’insatisfaction que seul son frère, ou sa soeur aurait pu calmer. Pendant 25 ans, elle avait inconsciemment ressenti sa « non-présence » et comme un « raté » quelque part dans son corps, dans sa tête parfois et dans son coeur souvent.

Moune n’avait jamais rien dit à Pami et le secret n’avait pas été éventé par les quelques intimes au courant. Et c’est seulement en ce jour primordial qu'elle avait la révélation ; son intuition se changea vite en certitude : elle avait eu un jumeau.

Elle se souvint alors qu’un jour, au début de sa scolarité, alors que beaucoup d’enfants lui demandaient l’origine de son prénom, elle avait posé la question à sa mère. Avec un regard étrange, plein de regrets enfouis et dans un murmure tremblotant, Moune avait dit :

« Quand tu es née, nous hésitions entre Pascale et Michèle ; nous sommes tombés d’accord sur Pami ; j’aime beaucoup les prénoms qui vont aussi bien aux garçons qu’aux filles. »

Aujourd’hui, Pami se demande si elle est Pascale ou Michèle ? et surtout qui aurait du être celui à qui le « e » aurait été inutile.

En étant Pami, elle était aux yeux de Moune les deux réunis, ou plutôt jamais séparés, depuis les seuls 9 mois de gestation pendant lesquels ils avaient vécu ensemble, intimement unis dans sa chaleur.

Voilà, aujourd’hui, Pami repose dans la chambre aseptisée ; elle arrive directement de la salle d’opération ; les contractions ayant duré trop longtemps, le chirurgien avait décidé de pratiquer une césarienne. Epuisée par une grossesse pénible, elle avait beaucoup maigri tandis que les jumeaux grossissaient, pompant son énergie, sa vigueur et ses forces.

Et maintenant, elle est là, allongée, faible et anesthésiée, comme vidée.

Petit à petit, elle reprend conscience, et tout à coup, ouvrant les yeux, elle s’écrie : « ils sont là, tous les deux ? » C’est à la fois un appel d’espoir et une interrogation pleine de crainte, un cri de frayeur, un SOS " Répondez !... montrez les moi, donnez les moi...... je ne peux vraiment me réveiller qu’en les sentant tous les deux ; j’ai attendu deux enfants et il me les faut tous les deux".

Je sais bien que la plupart des mamans sont ravies à la naissance de leur enfant unique, alors qui peut m’expliquer pourquoi il me semble inconcevable de n’avoir donner le jour qu’à un enfant, alors qu’on m’en a annoncé deux et que j’en VEUX deux ! »

Pami voulut crier vers Moune ; la prendre dans ses bras, l’aimer aussi fort qu’elle chérissait déjà les deux petites vies balbutiantes.

C’était enfin, 25 ans après, une revanche, un juste retour des choses.

Les deux bébés étaient là ; ils allaient vivre ensemble et redonner à tous le goût des choses bien faites, accomplies, terminées.

Ses deux enfants, si petits, ne lui avait pas encore été confiés, mais là près d’elle se trouvait Moune et elle avait tant de choses à lui dire : elle devait lui expliquer que rien n’avait été gâché, que la vie avait été la plus forte, que l’amour avait vaincu.

Il fallait qu’elle comprenne que seule compte la présence de l’Autre, qu’il suffit de la chaleur d’un être aimé, plus jeune ou plus grand, parent ou ami pour que la vie reprenne ses droits.

Elle avait eu Moune pour remplacer son frère disparu. Moune avait eu Pami pour faire vivre l’enfant perdu : il était dans son regard brillant, dans ses cheveux châtains ondulés, dans sa démarche énergique, dans ses goûts affirmés et dans ses choix définitifs.

Moune et Pami avaient été et étaient si heureuses et Moune se rendait-elle compte que Pami venait de mettre un point final à leur quête commune ?

PAMI (ou une histoire de jumeaux)

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